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Chroniques de jazz
16 septembre 2015

Take your trumpet, man !

Pour Patrick Espagnet

 

   À l’été 1972, avec Patrick Espagnet, nous avons pris le chemin de Châteauvallon. On nous avait dit qu’un festival de jazz au programme alléchant se tenait là-bas. Nous avions la possibilité d’être hébergés dans une école et d’obtenir un abonnement à tous les concerts, qui comprenait l’autorisation d’assister aux « balances ». On laissait entendre aussi que les musiciens pourraient être approchés en dehors des concerts. Un parfum de liberté régnait, et nous voulions en profiter. Le free jazz était dans l’air, même s’il n’était pas le seul courant esthétique représenté au programme, loin de là.

 

   Patrick était bien plus audacieux que moi dans sa manière de s’adresser aux musiciens : il faut dire qu’il était instrumentiste lui-même (batteur) et je me souviens l’avoir vu discuter sur scène avec Billy Cobham à propos de matériel. De même, je l’ai vu s’adresser à Charles Mingus comme si ce dernier était un ami d’enfance, et je regrette encore de n’avoir pas osé les photographier, côte à côte, au cours des repas que nous prenions à la cantine du festival. C’est encore lui qui a osé, le soir du concert de Don Cherry, proférer un tonitruant « Take your trumpet, man ! » à l’adresse du partenaire d’Ornette Coleman, qui avait répété l’après-midi avec Nana Vasconcellos et joué de sa trompette de poche avec brio, avant de la délaisser complètement le soir venu.

 

   De mon côté, j’avais approché discrètement la petite troupe de Don Cherry qui campait dans la forêt attenante à l’amphithéâtre où avaient lieu les concerts. Il reste de ce moment une photo prise par Guy Le Querrec, qui a été publiée dans le « Jazz Magazine » du mois de septembre 1972, où l’on me distingue, barbu et vêtu de noir, sur la droite de l’image. Plus tard, je devais avoir avec ce photographe une histoire marquée d’amitié, de textes et de bavardages.

 

   De ce Châteauvallon 72, il reste un concert enregistré et publié du Michel Portal Unit, mais il doit y avoir quelque part à Radio-France les bandes des autres concerts, entre autres du formidable trio constitué de Tony Williams (dm), Jean-Luc Ponty (vln) et Stanley Clarke (b), la soirée finale avec Paul Bley, son pull-over à col roulé, son synthétiseur « Moog » et sa pipe, et puis encore Marion Brown en trio, le groupe français Magma, John McLaughlin qui avait été le seul à refuser que nous assistions aux répétitions, Charles Mingus bien sûr.

 

   Des années plus tard (fin 1988), à Bordeaux, Patrick Espagnet qui était alors journaliste à Sud-Ouest (une plume !) m’a abordé un soir, quelque peu enivré, et m’a confié son calepin et son stylo avec la consigne : « tu vas ce soir à Eysines, il y a un concert d’Ahmad Jamal et de Johnny Griffin, je ne suis pas en état d’y aller et d’écrire quoi que ce soit, tu me sauves la mise et tu fais le papier à ma place ! ». J’ai d’abord refusé, arguant de mon incapacité à écrire, puis devant son insistance et la garantie qu’il me donnait que je serai payé (150 F la pige) j’ai pris la direction du concert. Le lendemain, j’écrivais tant bien que mal un compte-rendu, et il était publié le surlendemain, sans nom d’auteur. Trois semaines plus tard je croisais à nouveau Patrick, et lui demandais des nouvelles de la pige… Il fut évasif. Mais le lendemain, il m’apportait la grande nouvelle : « mieux qu’une pige, ils t’engagent comme chroniqueur de jazz, tu feras désormais tous les articles sur cette musique ! » Je ne savais pas que je venais, grâce à lui, de mettre le doigt dans un engrenage qui devait déterminer une partie de ma vie à venir.

 

   Tout est allé assez vite ensuite. Jean-Pierre Moussaron (que je connaissais seulement de vue à l’époque) m’a fait enter à « Jazz Magazine », où Philippe Carles m’a très vite fait confiance. Le journal « Sud Ouest » m’a donné de plus en plus de travail (envoyé spécial à Marciac dès l’été 1989), j’ai joué des coudes et donné, avec l’aide de Pierre Veilletet (Sud-Ouest Dimanche) et de Patrick Berthomeau (Sud-Ouest), puis de Pierre-Marie Cortella (SOD) de plus en plus de place au jazz, et surtout (avec leur accord) aux formes les plus contemporaines et les plus méconnues de cette musique. J’ai du faire mon dernier reportage à Marciac en 2008.

Philippe Méziat (2015)

 

DSCN0740

 

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